IDENTIFICATION
Localisation
Caractéristiques
Description
Coque / à propos :
Trimaran en bois moulé-époxy-verre (West system) construit par Damian Mc Laughlin (USA). Red et yellow cedar sur des lisses en spruce et une pièce de quille en acajou. Il est en très bon état après une restauration complète en 2014/2015.Pont et superstructures / à propos :
Pont et superstructures / état actuel :
Ponts et bras de liaison en contreplaqué-époxy et bois massif. Les bras profilés en forme d'aile sont caractéristiques de Native et des travaux de Dick Newick. Dérive sabre bois-époxy et renforts en carbone. La rénovation de 2015 a permis de remettre les hublots selon le plan et les techniques d'origine imaginées par l'architecte. L'ensemble est donc totalement conforme au plan initial.Gréement / à propos :
Mât-aile orientable en bois-époxy et renforts en carbone. Plus récent, l'expert mandaté pour l'assurance le situe en 1985. Gréé en cotre à sa sortie, un article de Multihulls-magazine de juin 1978 en atteste, il est ensuite gréé en sloop avec son nouveau mât-aile. Gréement dormant textile "Den-ran" de 2022. Gréement courant de 2022/2024. Le tout est en très bon état et navigue régulièrement.Voilure / à propos :
Voiles blanches en dacron respectant l’esthétique d'origine de ces trimarans anciens. Génois sur enrouleur. 24 m2 Grand-voile lattée a fort rond chute. 37 m2 Gennaker 61 m2 Spinnaker asymétrique 82 m2 Voiles en très bon état.Emménagements / à propos :
Carré intégrant table à cartes, petite cuisine (réchaud et évier) et couchette de navigateur. Une couchette double dans la pointe avant. Une cabine arrière avec une descente dédiée depuis le cockpit. Une couchette simple. Ces aménagements ont également bénéficié de la rénovation et sont en très bon état tout en respectant le plan d'origine.Emménagements / état actuel :
Moteur(s) / type, puissance, année :
Moteur hors-bord sur chaise relevable. 9.9cv de 2015Intérêt Patrimonial
Témoignage humain :
Au cours des années 70 et 8O, les trimarans se sont peu à peu imposés dans le milieu de la course au large sous l’impulsion de quelques architectes. Le plus influent d’entre eux est sans nul doute Dick Newick, l’architecte de Native, dont les inspirations géniales (il était surnommé « le sorcier du Maine ») ont amené une nouvelle manière de concevoir les voiliers et de naviguer sur ces voiliers.
A propos de ces trimarans imaginés par Dick Newick, Philippe Echelle nous dit : ” Native est emblématique de cette famille extraordinaire dans l’histoire de l’architecture navale et de la redécouverte des multicoques. ” (“Native 38 le trimaran de retour du futur” Multicoques mag N° 175 2017 pp 84-87).
La ligne de Native est immédiatement reconnaissable comme étant due au crayon de D. Newick. A l’occasion de sa participation à la Tradewinds-Race de 1978, le journaliste qui relate la course dans Multihulls magazine (Mai/juin 1978 pp 5-15) écrit : « This boat is unmistakably a Newick design, evident from a mile away ». Au delà de sa silhouette, Native exprime totalement la « philosophie » de Dick Newick surtout connue au travers de ses formules « small is beautifull », « fast is fun », ou « keep it simply stupid » mais qui sont davantage explicites dans l’ouvrage de G Basseporte et E Gaucher ou dans une interview qu’il avait donnée à Daniel Alisy pour Voiles et voiliers (V&V N°71- janv 1977).
On comprend alors que l’architecte, profondément imprégné de culture polynésienne, cherche à concilier performance et confort en navigation et que la compétition n’est pas son but premier. Il recherche, selon ses propres mots exprimés dans le livre de G. Basseporte et E. Gaucher « Trimarans et autres multicoques » paru en 1980, « des bateaux qui parlent d’eux-mêmes un langage universel (c’est à dire ne demandant pas de traduction) ». A ce propos, Ph Echelle indique que les succès en course de Newick frôlent le malentendu. Sa production n’étant pas tendue dans ce but.
Native représente l’archétype de cet équilibre recherché par Newick dans un esprit de « croisière-course » pour reprendre l’expression utilisée par G. Basseporte et E gaucher, expression reprise également par Ph Echelle. Suffisamment habitable pour être confortable à deux mais sans faire de concession sur la performance. La cabine arrière, très spartiate mais qui exploite au mieux le dessin de la coque centrale, le système simplifié des hublots ou les cales en bois de la dérive sont autant d’exemples qui témoignent de l’esprit dans lequel Newick concevait ses bateaux.
Sa silhouette n’est pas uniquement due à une recherche esthétique, même si cela est très réussi, mais provient des recherches sur les formes de carène d’un architecte qui utilise au mieux les techniques et les matériaux de son époque. En particulier le WEST system (Wood-Epoxy-Saturation-Technique) qui vient d’être mis au point par les frères Gougeon et qui ouvre de nouvelles perspectives. Le profilage des bras « en carapace de tortue » (P. Echelle, 2017), qui donne la silhouette de Native et qui l’identifie immédiatement comme un Newick, provient d’une recherche poussée sur l’aérodynamisme et sur le passage dans les vagues de ces bras de liaison comme facteurs de performance. D. Newick le souligne dans son interview à Voiles et Voiliers. En cela Native est dans la continuité de Three Cheers et préfigure les réalisations suivantes de l’architecte, en particulier Rogue Wave, Moxie, Fleury-Michon IV ou Olympus photo II. A propos de la sortie de ce dernier, un article de Neptune nautisme (janvier 1980) souligne la filiation du carénage des bras avec ceux de Native.
Il est sans doute un des plus anciens trimarans Newick à naviguer actuellement, même s’il existe une incertitude sur son année de naissance. En effet son certificat indique 1975 comme année de construction. Pourtant Philipe Echelle parle dans son article d’une étude numéro 37 signée de Dick Newick et datée de 1977. Les sites internet de Dick Newick et de Damian Mc Laughlin situent pour leur part la construction de Native en 1976. On peut raisonnablement leur faire confiance et faire l’hypothèse que l’étude de 1977 correspond à l’évolution du plan dans laquelle Newick remplace les deux bras profilés par une seule aile. C’est ce plan qui sera utilisé par la suite pour construire les sister-ships de Native (mêmes carènes mais liaisons entre les coques et aménagements différents). C’est aussi ce plan qui est reproduit dans le livre de G. Basseporte et E. Gaucher « Trimarans et autres multicoques » qui faisait référence à sa sortie en 1980 et qui est devenu une source d’informations sur les conceptions de l’époque.
En résumé : Native, construit en 1976, est un des plus anciens plans de Dick Newick qui navigue encore de nos jours. Avec sa silhouette reconnaissable au premier coup d’œil comme étant un Newick, il est emblématique des réalisations de cet architecte qui est assurément celui qui a le plus contribué à révolutionner la course au large en y imposant les trimarans. Les choix architecturaux et techniques qui caractérisent Native seront ensuite repris pour de nombreuses réalisations ultérieures.
Témoignage technique ou conceptuel :
Native est construit en WEST system (bois moulé-époxy-verre). Les essences utilisées sont du red cedar et du yellow cedar sur des lisses en spruce et une pièce de quille en acajou.
Il est le premier Newick sorti du chantier de Damian Mc Laughlin. Un article du « Maine boats and harbor » N° 47 paru en 1998 intitulé « For speed and beauty » consacré à l’œuvre de Damian Mc Laughlin nous apprend que la construction de Native a été le point de départ d’une fructueuse collaboration avec D Newick.
En effet, après cette première construction en 1976 d’un plan Newick en WEST system, technique que Damian Mc Laughlin a développée de son côté après sa rencontre avec les frères Gougeon qui venaient de l’inventer, d’autres trimarans suivront : Let’s go (un plan Native 38 avec ailes) en 1978, Olympus photo II (14m) en 1979, Bonifacio (45 pieds, ex Crazy Bird) en 1980, Wings (Native 38 avec ailes) en 1982, Rusty pélican (45 pieds) en 1983, Here we go (Native 38 avec ailes) en1983. Suivront également d’autres réalisations co-signées D. Newick et D. Mc Laughlin.
Pour P. Echelle (article de Multicoques mag sur Native) si D. Newick n’est pas le seul à utiliser le WEST system, il en est « l’interprète le plus exclusif et talentueux ». La collaboration avec Damian MC Laughlin permet des réalisations « légères et pourtant indestructibles », toujours selon P. Echelle. Il souligne en cela, tout comme l’auteur de la rétrospective de « Maine boats and harbor » la qualité du travail du chantier de D. Mc Laughlin.
Cette qualité de conception et de construction, alliée à deux années de restauration minutieuse en 2014-2015, nous permet de profiter encore pleinement d’un bateau en parfait état.
C’est cette maitrise du WEST system qui permet au génie de D. Newick de s’exprimer au travers de Native. Les principes architecturaux qu’il met en œuvre sont à la fois évidents, parce que reconnaissables au premier coup d’œil, et difficiles à appréhender ou à expliquer. Newick en donne quelques-uns : des formes en V jusqu’à l’arrière (il se distingue en cela de Derek Kelsall), une rigidité contrôlée par l’utilisation du bois – en particulier du WEST system – pour l’ensemble du bateau (Walter Greene aura lui une autre approche en associant des éléments en polyester et en bois). Également, nous l’avons dit, une recherche sur le profilage des bras de liaison qui à la fois plaquent le bateau sur l’eau et facilitent l’écoulement de l’air sur les voiles.
Depuis, les matériaux disponibles en construction navale ont évolué et le WEST system n’est quasiment plus utilisé, ne serait-ce que pour des questions de coût de revient. Native est donc le représentant d’une technique, indissociable d’une conception architecturale, très datée et historiquement très importante dans l’histoire de la navigation à la voile en général et de l’histoire des multicoques en particulier. Il en est un témoin essentiel, le plus ancien de cette rencontre entre un architecte génial et un constructeur des plus talentueux pour exploiter les possibilités techniques de leur époque.
Un dernier élément mérite d’être signalé comme relevant d’une technique datée et en passe d’abandon du fait des progrès technologiques : le mât-aile de Native.
Construit en contreplaqué-époxy-verre-carbone et attribué à Walter Greene, il est plus récent que Native qui était initialement gréé en cotre. Les photos de l’article de Multihulls magazine de 1978 en témoignent. Les photos de native sur les sites respectifs de D. Mc Laughlin et de D. Newick montrent par contre Native avec son mât-aile. Elles ne sont pas datées, celle de D. Newick est plus ancienne, la cabine arrière n’est pas encore modifiée par les puits de lumière – bien visibles sur le site de D. Mc Laughlin- qui seront ensuite supprimés lors de la restauration de 2014-2015.
Si les mâts-aile en bois et fibre de verre sont apparus au cours des années 1960 aux Etats-Unis sur les catamarans « Classe C », ils ne seront exploités sur les trimarans de course que quelques années après la construction de Native sans pour autant se généraliser. On peut situer approximativement cette période de 1985 au début des années 2000 avec l’avènement des mâts en carbone construits industriellement.
Native est certainement un des derniers représentants de cette technologie rendue quelque peu obsolète par les progrès sur l’utilisation du carbone qui permettent depuis de nombreuses années de produire autrement des mâts orientables et profilés.
En résumé : Native est le produit de la rencontre entre un architecte génial et un constructeur talentueux. Damian Mc Laughlin réalise en 1976 son premier Newick. Pour cette première il utilise le WEST system. Ce sera le point de départ d’une collaboration qui permettra la réalisation de nombreux autres Newick avec cette technique du bois-moulé-époxy-verre.
Native sera quelques années plus tard équipé de son mât-aile en bois-époxy-carbone, suivant en cela l’évolution technique de son époque.
Il bénéficiera ensuite de deux ans de restauration après sa traversée de l’atlantique qui l’a amené en France en 2013.
Témoignage événementiel ou d’une activité révolue :
Native a été peu utilisé en course. Il fut saisi par les douanes peu après sa construction. L’immobilisation de 10 ans qui en résulta mit alors un terme à sa carrière.
L’article de la revue « Multihulls Magazine » de 1978 consacré à la Tradewinds-Race montre cependant son potentiel avec un très bon résultat : Native termine 3ème en temps réel derrière deux bateaux beaucoup plus grands : Rogue Wave, le trimaran Newick de 60 pieds de Phil Weld, et Ppalu, un catamaran Spronk de 75 pieds. C’est avec ce catamaran, renommé Paul Ricard, que Marc Pajot prendra peu après le départ de la route du Rhum (où il sera contraint d’abandonner).
Native aura plus tard à subir une autre immobilisation au Mexique après un retour éphémère à la compétition en Californie (vainqueur du tour de la baie de San Francisco devant 375 bateaux).
D’un certain point de vue, nous pouvons considérer que ce sont ces empêchements à une utilisation intensive en course qui l’ont préservé jusqu’au convoyage par Charles Michel vers la France. Nous pouvons ainsi profiter pleinement, près de cinquante ans plus tard, de l’objectif premier qu’assignait D. Newick à ses trimarans : « je voulais avant tout un bateau qui allie les performances au confort » (Interview à Voiles et Voiliers-janvier 1977).
En résumé : immobilisé pendant 10 ans peu après sa sortie, Native a eu peu d’occasions de briller en course. Ses résultats lors de ses rares participations confirment toutefois le potentiel qu’il avait à sa sortie. Paradoxalement, sa faible participation en course est sans doute ce qui a contribué à le préserver jusqu’à nos jours.
Autres éléments remarquables :
Un autre sister-ship de Native (ou quasi sister-ship du fait du remplacement des bras de liaison par une aile) s’est illustré en course. Naga, construit en 1979 par son skipper, Jack Petith, a en effet un palmarès impressionnant : record de Newport-Bermudes en 1980 ; 6ème de la route du Rhum 1982 sous le nom de Kriter X ; 14ème de l’OSTAR 1984 sous le nom de Destination Sainte Croix.
La “bivalence” du plan Newick dans l’esprit de “croisière-course” s’exprime particulièrement ici : Naga est aussi la “maison” de jack Petith. C’est en effet le mot qu’il utilise pour rappeler qu’il vit à bord.
Chronologie :
L’histoire de Native débute en 1976, il est utilisé en course, en atteste l’article de Multihulls magazine de 1978, puis il est saisi par les douanes et reste immobilisé pendant 10 ans à Los Angeles. Il est ensuite la propriété de Stephen Marcoe vers 1991 (nous manquons de dates précises). Il reprendra alors sa carrière en course (avec en particulier une victoire au tour la baie de San Francisco – probablement en 1991) quelquefois avec D Newick à son bord. Il est revendu et à nouveau immobilisé sur la côte ouest du Mexique. Charles Michel ira le chercher en 2013 et traversera l’atlantique pour le convoyer en France. Après deux années de restauration, il est présenté au rassemblement des « Golden Oldies Multihulls » de juillet 2015 à la Ciotat. Il est ensuite transmis à Franck Ravez puis à Arnaud Le gal qui le convoie de Saint Mandrier jusqu’à Saint Malo. J’en deviens le nouveau propriétaire en 2024.
Les seules modifications de native au cours de sa carrière concernent son mât-aile en contreplaqué-époxy-verre-carbone qui date probablement de la fin des années 1980 et la mise en place de puits de lumière dans la cabine arrière.
La restauration complète de 2015 supprimera ces ouvertures pour retrouver le plan d’origine de Native et ne laisser que les « hublots Newick ». Le mât-aile fait par contre partie intégrante de l’identité de Native.